Un deuxième regard sur la technologie et l’avenir du travail
La technologie est utilisée pour changer les rapports de force dans les milieux de travail et pour maintenir les relations de travail précaires de longue date, selon Jim Stanford. Toutefois, les pratiques d’exploitation de l’économie des petits boulots reflètent des choix délibérés, plutôt que la marche en avant inévitable de la technologie, et la création de meilleurs emplois est également entre nos mains.
Points importants
Les développements technologiques ont soulevé des préoccupation quant à la possibilité que l’automatisation et l’intelligence artificielle feront disparaître certains emplois. Le présent rapport, de l’économiste Jim Stanford, examine les hypothèses qui sous-tendent ces discours populaires et trouve quelles relève d’une mauvaise interprétation de l’économie, de l’histoire des relations du travail, la technologie et les relations entre employeurs et travailleurs. Il nous rappelle que notre temps de rupture reflètent nos choix du passé, plutôt que la marche en avant inévitable de la technologie, et la création de meilleurs emplois est également entre nos mains.
Résumé
Généralement, il est tenu pour acquis que le monde du travail est transformé fondamentalement par la force irrésistible et tectonique de la technologie. L’automatisation et l’intelligence artificielle feront disparaître certains emplois, mais en créeront d’autres. Les modèles d’entreprise numérisés et les plateformes de travail à la demande rendront les emplois précaires. Les gains considérables en productivité pourraient générer une abondance de temps libre – ou engendrer un monde d’ateliers de misère numériques.
Certains observateurs sont optimistes quant aux retombées économiques et sociales de ces changements. D’autres craignent un monde plus effrayant et plus polarisé dans lequel une petite élite rafle les avantages de la nouvelle technologie pendant que le reste de la société croupit dans le chômage et la précarité généralisés. Mais de toute façon, on tient pour acquis que le moteur du changement est la technologie elle-même. Et comme les luddites l’ont appris il y a deux siècles, on ne peut pas arrêter la technologie.
Le présent rapport examine les hypothèses qui sous-tendent ces discours populaires sur la technologie et l’avenir du travail, dans uneoptique historique compréhensive s’intéressantaux relations entre la technologie et le travail. Ces pressions et perturbations que subissent les marchés du travail sont-elles réellement sans précédent, ou les avons-nous déjà connues par le passé? Mesuré en termes économiques, le changement technologique s’est-il d’ailleurs accéléré? Par-dessus tout, la technologie est-elle le moteur de ces changements – ou y a-t-il un facteur ou un choix humains souvent négligés dans les visions utopique et dystopique de l’avenir de la haute technologie?
Le rapport conclut qu’il est improductif pour les parties prenantes du marché du travail – travailleurs, employeurs et décideurs politiques – d’accepter que ces changements historiques sont déterminés par la technologie, et donc inévitables. La technologie n’est en soi ni exogène, ni neutre : les trajectoires de l’innovation reflètent toujours les priorités et les intérêts de ceux qui la financent. D’ailleurs, le choix et le facteur humains sont encore plus à l’œuvre lorsqu’il s’agit de déterminer les lieux où la technologie est appliquée, la manière dont elle l’est ainsi que la manière dont ses coûts et ses bénéfices sont partagés. Supposer que la technologie est le moteur de l’ensemble du processus de changement et qu’elle échappe à notre contrôle peut amener les parties prenantes et les décideurs politiques à être passifs et complaisants. Ainsi, le changement est improvisé, fragmenté et chaotique, les possibilités de préparation et de coordination efficaces sont abandonnées, et les perspectives relatives à un avenir de haute technologie plus inclusif et plus participatif sont gâchées.
Pour remettre en question cette approche souvent fataliste, le présent rapport soutient que ces hypothèses populaires sur l’avenir du travail sont sans fondement. Plus précisément :
- La technologie ne remplace pas le travail, et ne saurait, en effet, remplacer le travail au sens général.
- L’« économie des petits boulots » n’est pas une nouveauté créée par la technologie, mais plutôt une appellation nouvelle de relations de travail précaires qui existent depuis longtemps.
- La technologie est utilisée tant pour modifier les rapports de force dans les milieux de travail que pour changer la nature de la production elle-même.
- Les nouvelles technologies sont déployées dans l’économie du monde réel plus lentement qu’on ne le suppose souvent.
- Des études et une formation professionnelle supplémentaires, bien que souhaitables, ne suffiront pas pour s’adapter efficacement au changement.
En fin de compte, les travailleurs font face à des problèmes plus urgents que les licenciements dus à la technologie future. Ils sont déjà confrontés à la précarité généralisée ainsi qu’aux revenus stagnants et de plus en plus inégaux, et manquent d’occasions de faire entendre leur voix dans leur vie professionnelle. Ces défis, qui ne peuvent pas être relevés par les forces du marché, exigent des réponses rapides et efficaces de la part des décideurs politiques et des autres parties prenantes du marché de travail. En mettant en place des structures et des processus plus représentatifs et plus participatifs pour relever ces défis existants, nous améliorerons également la capacité du marché du travail à gérer le changement technologique de façon plus efficace et plus juste.
Le rapport se termine par un examen des mesures concrètes qu’il faut pour assurer à un avenir du travail, dans lequel des décisions conscientes et collectives façonnent les forces de la technologie, la productivité et la créativité pour créer de meilleurs emplois et de meilleures conditions de vie.
Pour de plus amples informations
Eglantine Ronfard
Responsable Communication
Centre des Compétences futures
Téléphone : 647 262 3706
Email : eglantine.ronfard@fsc-ccf.ca
Auteur
Jim Stanford
Jim Stanford est economiste et directeur du Centre for Future Work, et professeur Harold Innis a l’Universite McMaster. II partage son temps entre Sydney, en Australie, et Vancouver.