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De quoi parlons-nous lorsque nous évoquons l’avenir des compétences ?

Le monde du développement des compétences évolue rapidement, pour trois raisons : 1) le vieillissement de la population entraîne des pénuries de main-d’œuvre généralisées, mettant en évidence la dépendance politique relative d’une nation à l’égard du développement des compétences de sa propre population par rapport à l’immigration comme principale stratégie ; 2) le lieu du développement des compétences est en train de changer, passant d’une certification coûteuse et longue dans les collèges et les universités à une formation à plus court terme et sur le lieu de travail ; et 3) le rôle de la technologie a historiquement à la fois augmenté et remplacé la main-d’œuvre, mais le dernier ensemble de technologies numériques influe sur les emplois les plus qualifiés et les mieux rémunérés d’une manière encore imprévisible. 

Quelles sont les compétences dont nous avons le plus besoin dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre généralisée ? 

Dans les pays du Nord, le nombre de personnes qui quittent le marché du travail est supérieur à celui des personnes qui y entrent, en raison des tendances démographiques (départ à la retraite des baby-boomers et baisse du taux de natalité depuis des décennies). L’économie canadienne aura besoin d’un plus grand nombre de personnes venant de l’étranger pour éviter la stagnation, voire la baisse, du niveau de vie ; et il en sera de même ailleurs. Nous serons en concurrence avec de nombreux autres pays du Nord pour attirer les travailleurs du Sud, dans toutes les catégories de compétences. 

Le Canada se distingue sur le plan international par la croissance de l’immigration, qui va de pair avec notre appréciation de ce que les immigrants apportent. Pendant des décennies, la politique d’immigration a été axée sur l’accueil des « meilleurs et des plus brillants », c’est-à-dire des immigrants les plus qualifiés et les plus riches en capitaux d’investissement. Pendant des décennies, les pénuries de compétences ne concernaient que des régions et des secteurs particuliers, mais les pénuries futures concerneront tous les types de compétences, partout. Tant du point de vue du marché du travail que des entreprises, le pouvoir de négociation se déplace vers les travailleurs. C’est une nouveauté. Nous avons vécu 40 ans d’excédents de main-d’œuvre. Les employeurs ont fait la pluie et le beau temps. La hausse des titres de compétences était un moyen de filtrer un grand nombre de candidats pour chaque poste à pourvoir. Or, déjà en Colombie-Britannique et au Québec, le nombre d’offres d’emploi dépasse à peine le nombre de chômeurs. Ceci est en passe d’arriver dans votre coin. De plus en plus d’entreprises embaucheront des personnes sans diplôme et seront prêtes à les former sur le tas.

D’où viennent les compétences ?

Tant le volume que l’emplacement du développement des compétences changent pour les résidents du Canada. On passe d’une certification dans les universités et les collèges (coûteuse en argent et en temps) à une certification des compétences à plus court terme et plus ciblée dans une variété d’établissements publics et privés et à une formation en cours d’emploi plus importante que depuis des décennies. Il faut s’attendre à une aggravation des inégalités. Au cours des 30 dernières années, alors que de plus en plus de personnes obtenaient des diplômes et des certificats, le marché des personnes possédant ces titres de compétences a explosé et l’avantage salarial de l’éducation postsecondaire a diminué. L’intérêt de ces diplômes était davantage de vous aider à obtenir un emploi permanent à temps plein que de gagner un meilleur salaire. Aujourd’hui, ceux qui peuvent se permettre de consacrer du temps et de l’argent à l’obtention d’un diplôme, en particulier dans les établissements prestigieux, sont susceptibles de voir revenir la prime salariale. Cela augmentera les inégalités de revenus. 

Il est probable qu’il y ait davantage de formation en cours d’emploi, mais cela soulève le problème du parasitisme : une entreprise peut investir dans le recrutement et la formation de travailleurs, mais comment empêcher la perte de rendement de cet investissement si ce travailleur passe chez un concurrent qui rémunère davantage, mais qui n’a pas assumé les coûts de formation au départ ? La mesure dans laquelle les institutions publiques offrent des options pertinentes de développement des compétences à court terme et à faible coût maximisera ou limitera le potentiel humain, ce qui nous amènera à nous tourner davantage vers l’immigration comme solution en cas d’options de développement des compétences sous-optimales pour les Canadiens. 

Bien que le débat entre les experts en politique, les universitaires et les décideurs porte sur la relation entre l’immigration et le développement des compétences, depuis 2006, l’immigration a été éclipsée par l’utilisation de travailleurs étrangers temporaires qui entrent au Canada par le biais de divers programmes avec des visas de résident temporaire. Cette tendance a continué à s’accélérer, même pendant la pandémie. D’ici novembre 2021, 1,2 million de nouveaux arrivants sont entrés au Canada. Moins d’un tiers ont été autorisés à rester. Pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre, il faut créer des emplois « temporaires permanents », ce qui est de mauvais augure pour l’avenir de cette « nation d’immigrants ».

De janvier à novembre 2021, le Canada a accueilli 1 173 135 nouveaux arrivants. Seuls 31 % ont été autorisés à rester comme résidents permanents.

Les robots vont-ils accaparer tous les emplois ?

La technologie dissocie toujours les tâches des emplois. L’automatisation et le transport par conteneurs ont entraîné l’externalisation des emplois de cols bleus vers des pays où les salaires sont moins élevés. Aujourd’hui, les technologies numériques peuvent délocaliser des aspects du travail habituellement effectués par des cols blancs et des professionnels telles que les avocats, les architectes, les dessinateurs, les ingénieurs, les diagnosticiens médicaux, les développeurs de logiciels et d’autres personnes dont les compétences élevées sont normalement bien rémunérées. Que se passe-t-il lorsqu’un « vous », un investissement moins coûteux, est disponible en temps voulu dans une autre partie du monde ? La réaction politique typique pour les travailleurs déplacés est « plus de formation ». Cependant, comment et pour quels emplois requalifier le groupe qui est déjà le plus qualifié ? Et quelles sont les ramifications pour un monde qui s’efforce de créer une croissance inclusive pour tous, alors que nous ajoutons de nouvelles voix au chœur de ceux qui se sentent lésés et laissés pour compte ? 

De nombreuses nations sont aux prises avec ces trois mêmes méga-tendances. Elles présentent à la fois la menace d’un nivellement par le bas et la certitude que certaines nations réussiront mieux que d’autres, offrant ainsi un exemple à suivre. Pourquoi le Canada ne jouerait-il pas le rôle de leader dans une course au sommet ? 

Armine Yalnizyan est économiste et titulaire de la bourse Atkinson sur l’avenir des travailleurs. Elle a récemment participé au Sommet sur les compétences futures dans le cadre d’une table ronde sur « les prochaines étapes pour une main-d’œuvre prête pour l’avenir ». Vous pouvez la suivre sur Twitter @ArmineYalnizyan.

Les points de vue, les réflexions et les opinions exprimés ici sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue, la politique officielle ou la position du Centre des Compétences futures ou de l’un de ses membres du personnel ou des partenaires du consortium.