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Une nouvelle approche agricole : La technique agricole de pointe et l’avenir du secteur agricole

La technologie agricole (ou technique agricole de pointe) fait l’objet d’une grande attention de nos jours. Que ce soit de la part des décideurs politiques préoccupés par la hausse des prix des denrées alimentaires, des agriculteurs et des transformateurs qui cherchent à être plus efficaces, des fonds spéculatifs à la recherche d’opportunités d’investissement ou des entreprises technologiques qui étendent leur champ d’action. À l’heure où le monde est confronté à divers défis (changement climatique, pénurie d’eau, appauvrissement des sols fertiles, croissance démographique, inflation galopante, problèmes de chaîne d’approvisionnement, pénurie de main-d’œuvre et guerre), les techniques agricoles de pointe sont présentées comme un moyen d’améliorer les rendements, de mieux gérer l’utilisation des intrants, de renforcer la sécurité alimentaire et d’accroître les bénéfices.

Les techniques agricoles de pointe couvrent tous les domaines, de l’utilisation de la robotique pour la récolte et le contrôle des opérations à la mise au point de nouvelles variétés grâce aux biosciences, en passant par l’utilisation des « mégadonnées » pour recommander les cultures à privilégier.

L’histoire nous enseigne que le développement des techniques agricoles de pointe aura des répercussions majeures sur la nature du travail agricole, la main-d’œuvre agricole, le contexte rural et la structure de l’agriculture. Dans ces cas, les techniques agricoles de pointe vont renforcer les changements qui se sont produits au cours du siècle dernier. 

Considérons la nature du travail agricole. Comme les transformations technologiques précédentes dans l’agriculture (par exemple, le développement de l’agriculture mécanisée ou la création d’hybrides), les techniques agricoles de pointe réduiront la main-d’œuvre nécessaire pour les semis, les récoltes et l’élevage. La main-d’œuvre étant moins sollicitée, la capacité des exploitations agricoles continuera d’augmenter. 

Une opération sophistiquée

Le travail agricole lui-même changera aussi. Tandis que les agriculteurs du siècle dernier faisaient beaucoup de tâches différentes (élever des animaux et des plantes, réparer des machines et prendre des décisions commerciales), les agriculteurs en technique agricole de pointe se spécialisent de plus en plus et se penchent sur la gestion de l’exploitation, en trouvant et en achetant l’expertise nécessaire plutôt que de faire tout le travail eux-mêmes. Même si les agriculteurs en techniques agricoles de pointe ne réparent pas nécessairement leurs propres machines (si la technologie est très sophistiquée ou si le fournisseur de techniques agricoles l’interdit), ils passeront du temps à coordonner les opérations agricoles. 

Compte tenu de ces changements, le type de personnes attirées par l’agriculture et qui réussissent dans ce domaine va changer : celles qui ont l’intérêt et l’expertise nécessaires pour gérer de manière rentable une exploitation technologiquement sophistiquée devraient réussir, et une formation dans ce domaine sera nécessaire. Une partie de la formation sera dispensée dans le cadre de programmes menant à un diplôme ou à un grade dans les collèges et les universités, ainsi que par le biais de certificats et de microcertifications offerts par ces institutions et les agro-industries.

La structure de propriété du secteur agricole devrait également changer. Autrefois, les agriculteurs étaient propriétaires des terres et les familles fournissaient la main-d’œuvre. Dans la nouvelle ère, une société d’investissement possède l’unité de production et engage un gestionnaire qui, à son tour, embauche des personnes compétentes pour l’exploiter. Ou encore, les exploitations agricoles peuvent être détenues par une famille qui fournit une expertise en matière de gestion et d’administration, tandis que la main-d’œuvre embauchée effectue l’essentiel du travail de production. 

Compétences recherchées

Les techniques agricoles de pointe rendent ces nouvelles structures possibles en fournissant des données très détaillées sur l’unité de production à quiconque est capable de lire et d’interpréter des données informatiques. Ainsi, les agriculteurs de demain ne devront pas nécessairement avoir une formation agricole, ce qui ouvrira l’agriculture à un groupe plus large. Cela crée également une demande de personnes possédant des compétences agronomiques et technologiques spécialisées. Bien que ces personnes ne possèdent pas et n’exploitent pas l’exploitation, elles sont recrutées pour leur expertise et leurs connaissances du sol, de l’agronomie, des cultures, de l’agroalimentaire et de la technologie. Il est prévu que les collèges et les universités assurent la formation ; les cours porteront notamment sur les sciences de la culture et de l’élevage et sur la compréhension des technologies de précision. Les entreprises agroalimentaires joueront également un rôle en proposant des certificats et des microcertifications hautement spécialisés dans tous les domaines, de l’utilisation des équipements les plus récents aux conseils d’entretien et de sécurité.

La promesse d’économies

Historiquement, l’économie a été le principal moteur du secteur agricole : les agriculteurs ont adopté de nouvelles technologies pour réduire la main-d’œuvre et les coûts grâce aux économies d’échelle. La consolidation a également été favorisée par l’exode des agriculteurs vers des emplois mieux rémunérés dans les régions urbaines.

Les facteurs économiques resteront essentiels pour les techniques agricoles de pointe. La nécessité d’économiser la main-d’œuvre est toujours présente dans l’agriculture et les techniques agricoles de pointe y contribueront, que ce soit par la substitution directe de la main-d’œuvre (par exemple, les tracteurs à conduite automatique) ou par une meilleure surveillance des machines, des cultures, des animaux et des travailleurs. Il en résulte une diminution du travail manuel peu qualifié et un recours accru à des employés qualifiés capables de faire fonctionner des équipements de plus en plus sophistiqués.

Avec l’entrée en vigueur des politiques de lutte contre le changement climatique, la nécessité d’économiser l’énergie et les engrais deviendra de plus en plus importante à mesure que les réglementations s’appliqueront et que les prix augmenteront. Les techniques agricoles de pointe promettent ces économies et, par conséquent, la demande de personnes possédant des compétences en matière de techniques agricoles de pointe devrait augmenter.

Questions et incertitudes

Les changements agricoles du siècle dernier sont le résultat de la mondialisation et d’une dépendance croissante à l’égard du commerce agricole. Si la mondialisation décline en raison de tensions politiques et sociales, l’effet sur l’agriculture et la technologie agricole pourrait être important. Les pays exportateurs pourraient connaître des excédents alimentaires, tandis que les pays importateurs pourraient être confrontés à une hausse des prix alimentaires et à des conflits internes. Par le passé, une telle volatilité n’a pas été propice à l’adoption de technologies à forte intensité de capital comme les techniques agricoles de pointe.

Les techniques agricoles de pointe soulèvent des questions quant à savoir qui contrôle les données, si les agriculteurs font assez confiance aux entreprises agroalimentaires pour adopter la technologie, si les investisseurs sont incités à injecter des fonds, qui supporte les coûts et reçoit les bénéfices, comment les régions rurales sont affectées et si la technologie peut apporter de la résilience aux approvisionnements alimentaires alors que le changement climatique et les systèmes politiques et économiques deviennent plus volatils.

Si l’on se base sur l’histoire, l’agriculture étant depuis longtemps un secteur dans lequel l’évolution technologique a joué un rôle majeur, nous nous attendons à ce que les techniques agricoles de pointe finissent par être développées et adoptées. Les progrès de l’IA, de l’apprentissage automatique et des techniques agricoles de pointe en matière de robotique sont désormais suffisamment développés pour que leur application à l’agriculture soit évidente. Certes la main-d’œuvre sera moins nécessaire dans les exploitations agricoles, mais l’essor des techniques agricoles de pointe créera des emplois dans ces domaines. Dans le même temps, l’incertitude qui règne dans le système agroalimentaire et dans l’économie au sens large soulève des questions quant à la rapidité du développement de la technique agricole de pointe et à l’étendue de sa mise en œuvre. 

Les auteurs sont affiliés à la Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy de l’Université de la Saskatchewan et au Centre canadien d’étude des coopératives. 

Les points de vue, les réflexions et les opinions exprimés ici sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue, la politique officielle ou la position du Centre des Compétences futures ou de l’un de ses membres du personnel ou des partenaires du consortium.