En attente de décollage : l’impact à court terme de l’adoption de l’IA sur la productivité des entreprises

L’enjeu

L’IA est la technologie la plus discutée de ces dernières années. Ses partisans promettent qu’elle contribuera notamment à surmonter les problèmes de productivité et à transformer radicalement l’économie, en faisant augmenter les gains salariaux et le rendement économique. Cette intersection entre l’IA et la croissance de la productivité fait beaucoup parler d’elle au Canada à l’heure où des préoccupations émergent concernant une « crise de la productivité ».

La productivité est l’ingrédient clé de la croissance économique et du niveau de vie de demain, car elle offre la possibilité d’améliorer le rendement sans augmenter les facteurs de production – tels que les heures de travail, les ressources naturelles et les coûts d’investissement. Au cours des vagues d’innovation antérieures, nous avons néanmoins déjà observé des tendances consistant en l’adoption généralisée d’une technologie sans aucune preuve d’une augmentation de la productivité.

Comme l’a souligné le défunt économiste américain Robert Solow dans une remarque devenue célèbre, « l’ère de l’informatique est visible partout, sauf dans les statistiques de la productivité ». Mais la situation sera-t-elle différente cette fois-ci?

Il est essentiel de comprendre si l’IA va suivre les mêmes tendances que les vagues d’innovation précédentes pour éclairer les politiques économiques, les décisions d’investissement des entreprises, la planification de la main-d’œuvre ainsi que les discussions plus générales sur les avantages et les inconvénients de cette technologie.

Ce que nous examinons

Ce projet aborde ces questions dans le contexte canadien, appuyé par des données recueillies au niveau des entreprises pour évaluer si l’adoption de l’IA améliore la productivité. Avec un taux d’adoption faible et des recherches limitées au Canada, il comble un vide immense, permettant de tirer les premiers enseignements basés sur des données probantes concernant l‘impact à court terme de l’IA.

Ce projet a permis d’explorer l’impact à court terme de l’adoption de l’IA sur la productivité au niveau des entreprises. Voici ses questions de recherche clés :

• L’adoption de l’IA entraîne-t-elle des gains de productivité mesurables?
• Ces gains sont-ils concentrés chez certains types d’entreprises, comme les plus grandes ou les plus jeunes d’entre elles?

Réalisée grâce à des données de l’Enquête sur la technologie numérique et l’utilisation d’Internet 2019 et 2021 de Statistique Canada liées à des documents financiers, l’étude est axée sur les entreprises ayant adopté l’IA entre début 2020 et fin 2021. Les méthodes ont consisté en une analyse descriptive et en une estimation de l’effet causal basée sur la méthode des doubles différences. 

L’étude a ciblé des secteurs et des types d’entreprises dans lesquels l’adoption de l’IA a été la plus fréquente – la technologie de l’information et des communications (TIC) et les services professionnels, par exemple. La période d’analyse a coïncidé avec des perturbations considérables causées par la pandémie de COVID-19, susceptible d’avoir influencé les tendances d’adoption et les résultats en matière de productivité.

Ce que nous apprenons

Lorsque nous définissons « court terme » comme une période d’un à deux ans après adoption, nous observons les éléments suivants :

• Les résultats ne permettent pas de conclure que l’IA procure des gains de productivité. En effet, il n’existe aucune preuve concluante d’une relation forte positive ou négative entre son adoption et une amélioration de la productivité à court terme.
• Il n’y a aucune relation significative entre l’adoption de l’IA à cette période et la productivité totale des facteurs (PTF) ou la croissance de la PTF (gains d’efficacité de la production ne résultant pas de l’augmentation de la main-d’œuvre ou des apports en capital) à court terme.

L’ensemble des entreprises ayant adopté l’IA étaient déjà plus productives que leurs pairs, et la décision d’adopter cette technologie n’a pas augmenté le taux de croissance de leur productivité.

Ces résultats montrent que l’adoption de l’IA peut contribuer à la réussite des entreprises à long terme, sans pour autant être une solution rapide à leurs problèmes de productivité. Une intégration efficace et des investissements complémentaires dans les compétences et les infrastructures sont probablement nécessaires pour libérer tout le potentiel de l’IA.

Pourquoi c’est important

Cette étude a des effets considérables sur les décideurs politiques, les entreprises et les chercheurs :

• Politique : les décideurs politiques devraient en priorité aider les entreprises à intégrer efficacement l’IA plutôt que les laisser espérer des gains de productivité immédiats. Il est essentiel d’investir dans des domaines complémentaires, tels que l’amélioration des compétences de la main-d’œuvre et les infrastructures numériques.
• Pratique : les entreprises devraient aborder l’adoption de l’IA de manière stratégique, se concentrant sur son intégration à leurs procédés opérationnels de base pour en tirer parti à long terme.
• Recherche : de futures études devraient explorer l’impact des technologies d’IA générative plus récentes, telles que ChatGPT, qui ne sont pas prises en compte dans cette analyse.

Ces résultats soulignent bien une chose : l’IA ne constitue pas un remède immédiat en matière de productivité, mais elle promet de la croissance économique à long terme moyennant une mise en œuvre réfléchie.

Alors qu’il s’agit du premier rapport canadien à examiner la relation entre l’adoption de l’IA et la productivité des entreprises, le taux global de cette adoption dans l’économie canadienne reste faible – et marque une tendance naissante.

État des compétences :
L’IA au service de l’écosystème du développement des compétences

Pour profiter des avantages que l’IA a à offrir, son adoption et son déploiement devraient être un processus collaboratif et inclusif qui reconnaisse et réponde aux préoccupations réelles des individus concernant l’IA et la technologie de manière plus générale.

Lire le rapport

La généralisation des applications d’IA et leur intégration à un nombre grandissant d’opérations pourraient augmenter les chances d’obtenir des gains d’efficacité et donc de productivité.

Surtout, cette étude est axée sur l’impact de l’adoption de l’IA avant le lancement public de ChatGPT par OpenAI fin 2022, lequel a suscité un vif intérêt pour la dernière génération de technologies d’IA générative. Cependant, les outils d’IA générative, comme les grands modèles de langage (GML), offrent des capacités différentes de celles d’autres types d’IA, donc des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer leur impact sur la croissance de la productivité des entreprises canadiennes. Cette évaluation sera possible grâce aux données de la prochaine édition de l’enquête de Statistique Canada, menée entre fin 2023 et début 2024.

De nombreux décideurs du secteur privé et du monde politique estiment que l’adoption de l’IA par les entreprises peut être une solution miracle pour résoudre les problèmes de croissance de la productivité au Canada. Nos résultats incitent cependant à la prudence quant à l’existence d’un lien de causalité entre cette adoption au niveau des entreprises et la réalisation de gains de productivité à court terme. Cela étant dit, nous avons hâte de poursuivre nos analyses et nos recherches concernant l’impact du déploiement de ces technologies en perpétuel changement sur le cours de l’économie canadienne.

Prochaines étapes

Voici les prochaines étapes :

• Poursuite des recherches : analyser les données de l’Enquête sur la technologie numérique et l’utilisation d’Internet 2023-2024 pour cerner l’impact de l’IA générative.
• Mobilisation politique : diffuser nos résultats parmi les décideurs politiques pour informer les stratégies de développement économique liées à l’IA.
• Amélioration de l’intégration : élaborer des ressources et des cadres conçus pour aider les entreprises à exploiter l’IA efficacement.