Le moment big data des sciences sociales
Peu de sujets ont suscité dans les années récentes autant d’intérêt dans le débat public et dans les sciences sociales que celui des big data. La numérisation d’un nombre toujours plus grand d’activités sociales produit régulièrement de nouvelles données et alimente aussi une réflexion intense sur le fonctionnement des sociétés contemporaines ainsi que sur les modalités de la production du savoir à leur propos. De ce fait, une grande part de la littérature consacrée aux big data dans les sciences sociales oscille entre deux approches. La première vise à caractériser de manière instrumentale ces données dites massives par opposition aux données d’enquête, traditionnellement utilisées par les chercheurs. Elle questionne l’usage qui en est fait (Kitchin, 2014) comme celui qui pourrait en être fait (Beer et Burrows, 2007 ; Boullier, 2015 ; Varian, 2014). La seconde approche oppose à l’enthousiasme suscité par les big data, principalement dans le domaine des activités marchandes, une analyse des risques induits par le recours à ce type de données : la crainte d’obsolescence de la méthode scientifique d’analyse des données, appelée à être remplacée par des méthodes algorithmiques sans lien fort avec les théories sociales (Anderson, 2008) mais aussi, et surtout, l’apparition d’une nouvelle forme de société « dirigée par les données » (Pentland, 2012), bouleversant nos façons de vivre, de travailler et de penser (Mayer-Schönberger et Cukier, 2013), soulevant des questions éthiques inédites (Boyd et Crawford 2012) et annonçant l’avènement d’une nouvelle « gouvernementalité » du social (Rouvroy et Berns, 2013).